« Être faussement accusé et condamné pour un acte criminel que nous n’avons pas commis est l’une des pires erreurs judiciaires. Mais être amené à faussement s’accuser est l’une des manipulations comportementales les plus inhumaines, surtout lorsque les victimes de telles tactiques sont des personnes vulnérables. »

C’est par ces mots que j’ai ouvert mon travail d’étude en psychologie criminelle, consacré à la problématique des faux aveux chez les adolescents lors d’un interrogatoire policier.

Cette problématique est encore, en 2024, tabou. Pourtant, en France, une affaire célèbre a montré à l’opinion publique ce qu’une communication toxique entre un symbole d’autorité et un gamin de 16 ans pouvait apporter de pire.

Je vous propose donc aujourd’hui de vous lire la traduction en français de l’étude de cas présentée pour l’obtention de mon diplôme en psychologie criminelle auprès du Forensic Criminology Institute de Sitka, USA.

Vous pouvez télécharger le travail d’étude complet en anglais sur le site expertisededocuments.com

Avant de débuter la lecture de cette étude de cas, je voudrais préciser deux choses :

– La première est que cette étude de cas a été écrite à partir de la lecture du livre écrit par Patrick Dils qui s’appelle « Je voulais juste rentrer chez moi » paru en 2003.

– La seconde chose que je tiens à dire est que cette étude en criminologie n’a pas pour but de servir la soupe à la haine anti-police.

La critique qui sera émise dans les minutes qui suivent n’a pour but que de pointer du doigt des méthodes d’interrogatoires et non des personnes.

Dans les années 1980, une méthode d’interrogatoire appelée la méthode REID était ultra dominante au sein de la police des Etats-Unis et on retrouvait des variantes de cette méthode un peu partout dans le monde.

Depuis, elle a été grandement remise en cause pour sa propension à créer de faux aveux et de nouvelles méthodes d’interrogatoires sont préconisées aux polices.

Le travail en criminologie c’est parfois de pointer les failles institutionnelles qui favorisent la création des plus grandes injustices. Ça fait mal, ça heurte nos croyances, mais c’est nécessaire pour comprendre comment ces failles sont dangereuses. Mais pointer du doigt des failles, ne doit pas servir de prétexte pour pousser à la haine aveugle contre la police et contre les hommes et femmes qui la composent.

Ces mises au point faites, entrons dans le vif du sujet.

(La transcription de l’audio en texte est disponible plus bas)

🟠 Sources :

« Je voulais juste rentrer chez moi » Patrick Dils et Karen Aboad, éditions J’ai Lu, 2003.

Citations issues du livre ci-dessus, pages 8 et 24.

Vous pouvez retrouver ce Travail d’Etude dans le livre « Communiquer pour manipuler. Comprendre les communications manipulatoires et y échapper. » disponible sur Amazon et Kobo.

 

🟠 L’épisode :

00:00 ⇒ Introduction de l’épisode

03:15 ⇒ Etude de cas complète disponible ici

04:36 ⇒ Comment Patrick Dils est devenu le coupable idéal

14:44 ⇒ Rejoignez-moi sur la Newsletter du site

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🟠 Je suis Coraline Hausenblas, criminologue/victimologue experte en analyse d’écriture et de documents.
Ancienne psychomotricienne Diplômée d’Etat, mon travail repose sur une approche transdisciplinaire qui mêle psychologie, psychomotricité, linguistique et criminologie.

Je suis membre de l’International Association for Forensic and Legal Linguistics et formée à la psychologie criminelle par le Forensic Criminology Institute de Sitka, USA.

🟠 J’ai publié en mars 2022 une analyse d’écriture complète et chiffrée pour prouver que la « lettre du Titanic » est un faux document historique

Vous pouvez télécharger l’analyse scientifique complète

🟠 Transcription de l’épisode :

Bienvenue dans ce nouvel épisode du podcast, « La petite histoire des manipulations ». Ce podcast est consacré à la criminologie et à la criminalistique.

Je suis Coraline, criminologue experte en analyse de documents, et aujourd’hui je vous propose de découvrir l’une des pires erreurs judiciaires françaises : l’affaire Patrick Dils.

Cette affaire est particulièrement grave car elle met en évidence l’une des pires stratégies de manipulations : amener une personne innocente à s’accuser elle-même d’un crime quelle n’a pas commis.

Cette affaire, j’ai choisi aussi de la partager dans mon livre « Communiquer pour manipuler. Comprendre les communications manipulatoire et y échapper.». Et je l’ai choisi parce qu’elle incarne parfaitement ce que sont les communications manipulatoires et les conséquences dramatiques qu’elles entraînent. Surtout lorsque les relations sont déséquilibrées et que les communications ne servent que des prétextes à accuser sans preuves.

En septembre 1986, deux jeunes garçons, Alexandre Beckrich et Cyril Beining, sont retrouvés morts. Agés de 8 ans, les victimes ont eu le crâne fracassé à coup de pierre. Une des deux victimes est retrouvée avec son pantalon descendu sur les genoux, mais l’autopsie révélera qu’aucunes sévices sexuelles n’ont eu lieu.

Les corps sans vie des deux enfants sont découverts près de la voie ferrée de la ville de Montigny-lès-Metz. C’est aussi dans ce quartier que vit un adolescent de 16 ans : Patrick Dils.

Très vite, les policiers en charge de l’affaire interrogent Dils. Ils n’ont aucune preuve matérielle, aucun indice physique qui pourrait mener à un coupable.

Ils ont déjà entendu deux hommes qui ont avoué le double crime avant de se rétracter. Faute de preuves, les deux hommes sont relâchés.

Face à ces premiers faux aveux, on pourrait penser que la police sera plus prudente dans le recueil des témoignages futurs. Il n’en est rien. Les mois passent, les familles des victimes tout comme l’opinion publique demandent des comptes. Le spectre d’une autre affaire d’infanticide plane sur la police de Montigny-lès-Metz, l’affaire du petit Grégory, assassiné deux ans auparavant.

D’avril 1986 à avril 1987, Patrick Dils est entendu 4 fois par la police. A chaque interrogatoire, la pression se fait plus forte sur l’adolescent. Lors de sa dernière garde à vue, le 28 avril 1987, Patrick Dils finit par craquer : il avoue le double meurtre des enfants. Les policiers n’ont toujours aucune preuve matérielle, mais ces aveux signent la fin de l’enquête.

Pourtant, pour obtenir ces aveux, les policiers usent de plusieurs techniques issues de la méthode REID, connue pour ses nombreuses déviances.

Les interrogatoires de Patrick Dils sont très longs, misant sur la fatigue psycho-corporelle de l’adolescent pour l’affaiblir. Les attitudes et comportements des policiers impressionnent le jeune adolescent. La présomption de culpabilité dirige les entretiens : « Tu es arrivé dans la rue, les enfants étaient vivants. Tu es reparti, ils étaient morts. »

La police va chercher Patrick Dils à son travail sans en informer sa famille. A l’époque, aucune mesure de protection des mineurs lors des gardes à vue n’existe en France. Jamais un avocat ne sera aux côtés du jeune homme pour lui signifier ses droits et s’assurer qu’il les comprend. Les heures d’interrogatoires s’étirent et quand les parents de l’adolescent appellent le commissariat, on les remet sèchement à leur place.

Rapidement, les policiers se rendent compte que Patrick Dils cache quelque chose. Et effectivement, l’adolescent ne veut pas dire à la police qu’il a fouillé les poubelles d’une entreprise locale pour y récupérer des timbres dont il fait la collection. Cette entreprise se trouve à proximité du lieu du crime. Il n’en faudra pas plus pour que la police décide que Patrick Dils est coupable du meurtre des deux enfants.

La machine à broyer se met en place. Les policiers mentent délibérément pour faire pression sur l’adolescent. Ils affirment que des témoins l’ont vu sur la scène du crime. Ce mensonge est la première pierre d’un édifice de manipulation qui va se refermer sur l’adolescent. A partir de là, tout est bon pour créer la confusion dans l’esprit de Patrick Dils.

Les premières constructions narratives imaginées par les policiers sont inlassablement présentées à l’adolescent : des scénarios dans lesquels le jeune homme tuent les deux enfants, des mobiles plus bancal les uns que les autres.

Les policiers ne laissent plus parler Patrick Dils. Ils le nourrissent d’affirmations face auxquelles il n’a plus qu’à hocher la tête en signe d’affirmation ou à répondre par un simple « oui ».

Pourtant, un rapport psychiatrique de l’époque met en avant bon nombre de vulnérabilités qui auraient dû être prises en compte par les policiers pour protéger l’adolescent. Patrick Dils, 16 ans, présente une grande immaturité. Il souffre d’une timidité extrême, et est extrêmement maladroit. Son âge mental est estimé à 8 ans. L’adolescent est effacé, a du mal à communiquer et à partager ses états émotionnels. Les interrogatoires ne sont jamais filmés et aucun adulte n’est présent pour aider l’adolescent à comprendre ses droits et à les faire respecter par les tenants de l’autorité.

Les vulnérabilités du jeune homme, loin de le protéger, seront exploités par les policiers et par l’ensemble du système judiciaire. Les policiers et la jeune juge d’instruction qui gère le dossier, doivent trouver un coupable coûte que coûte. La docilité de Patrick Dils est donc du pain béni pour eux et aucune mesure de protection ne sera décidé pour s’assurer que ses aveux soient authentiques.

Patrick Dils ne sera jamais victime de violences physiques durant ces interrogatoires policiers. Mais l’accumulation de la fatigue mentale et physique associée à la multiplication des techniques de communications manipulatoires vont être utilisées pour l’affaiblir et le faire « craquer ».

Après avoir inventé des témoins, les policiers manipulent les témoignages des propres parents de l’adolescent. Le père de l’adolescent estime que son fils s’est absenté 15 minutes lors de sa fouille des poubelles voisines. Patrick Dils lui, dit ne s’être absenté que 5 minutes. Entre les deux témoignages, il y a une différence de 10 minutes. Les policiers vont alors se focaliser sur ces 10 minutes hypothétiques pour transformer un adolescent gauche en tueur d’enfants.

Les policiers incitent ensuite Patrick Dils à « se souvenir » de ce qui s’est passé pendant ces 10 minutes. L’adolescent dit alors qu’il « ne se souvient plus ». Il n’en faut pas plus aux policiers pour considérer ces paroles comme un demi-aveu. Les policiers vont alors l’« aider » à se souvenir. Ne disposant toujours d’ aucune preuve matérielle, le storytelling se met en place.

Les suppositions se multiplient à grand coup de : « imaginons que… », « supposons que… ». On manipule la mémoire de l’adolescent pour créer la confusion dans ses souvenirs.

La police nourrit littéralement Patrick Dils d’informations sur le meurtre tout en y ajoutant des éléments scénaristiques inventés. Et plus la police lui construit un rôle de tueur d’enfants, plus les policiers lui rappellent que finalement, tout ça n’est pas très grave… Ils l’incitent à « se mettre à table », à avouer, et lui disent qu’une fois l’aveu fait, il pourra rentrer chez lui retrouver ses parents. On retrouve là une autre technique phare de la méthode REID qui est celle de recourir à la maximisation des faits/minimisation des responsabilités pour mieux extorquer des aveux.

Dils n’a plus qu’à valider l’ensemble du scénario élaboré par les policiers. Dans les procès-verbaux, tout sera écrit pour faire passer le scénario comme des aveux spontanés.

Reste une énigme : le mobile. Les policiers n’en trouvent aucun. Ils inventent donc un pseudo-diagnostic psychologique « l’effet cocotte-minute ». Les deux enfants auraient vu Patrick Dils lors de son périple dans les poubelles, se serraient moqués de lui, et l’adolescent timide aurait alors « explosé », tuant les enfants violemment. Aucune expertise médico-psychologique ne viendra étayer cette affirmation.

Las, Patrick Dils finira par acquiescer à toutes les élucubrations des policiers. Il signera des aveux et les réitérera devant la juge d’instruction. Il mime même les gestes qu’il aurait effectué pour fracasser les crânes des deux enfants.

Patrick Dils pense qu’il lui sera facile de rétracter ses aveux lorsqu’il pourra parler à son avocat. Malheureusement, ces aveux, arrachés par des méthodes d’interrogatoires manipulatoires, sont considérés par la justice française comme des preuves à part entière.

Patrick Dils est donc condamné à la prison à perpétuité pour les meurtres des deux jeunes enfants. Il devient le plus jeune condamné français à une peine aussi lourde. Il passera quinze ans en prison et sera jugé en tout trois fois.

Lors de son troisième procès, en avril 2002, il est finalement acquitté des meurtres d’Alexandre Beckrich et de Cyril Beining.

Le travail d’enquête reprend depuis le début, et se penche désormais sur un tueur en série présent dans la rue où les enfants ont été tué à l’époque : Francis Heaulme.

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