4 aspects de la psychomotricité dans l’analyse d’écriture

Le mois dernier, au cours d’une interview à propos de l’analyse de la lettre soi-disant jetée du Titanic, un journaliste anglais m’a posé LA question que je voyais venir à 10 km à la ronde :

Vous dites que ce sont vos connaissances en psychomotricité qui sont à la base de votre travail d’analyse de l’écriture de la lettre. Mais… c’est quoi la psychomotricité ?

Parce qu’on a tendance à oublier, quand on est psychomot français, que dans bien des pays, la psychomotricité… ben c’est une grande inconnue.

Si le terme « psychomotor therapist » est plus ou moins connu, l’idée d’une profession autour de ce mot est encore loin d’être la norme.

Et même en France, certains domaines restes encore à explorer pour les psychomotriciens.

En France, le métier de psychomotricien fait partie des métiers paramédicaux et il est vrai qu’on consulte un psychomot plus quand il y a un problème… que quand tout va bien.

Pourtant, c’est vite oublier que la psychomotricité, c’est finalement tout ce qui constitue chaque être humain, ce qui fait que nous entrons en communication, en relation, que nous agissons, pensons, ressentons.

Je me suis dis que c’était l’occasion de présenter 4 aspects essentiels de la psychomotricité dans l’analyse d’écriture.

Parce qu’écrire, c’est un acte psychomoteur géré par un orchestre. Et plus particulièrement, un quatuor.

Quand on me demande ce qu’est la psychomotricité, je réponds souvent que :

c’est la façon pour chaque être humain d’entrer en relation avec son environnement grâce à un ensemble de fonctions psychomotrices issues du développement du cerveau, de la cognition, des émotions et du corps.

Comme expliqué dans cet article, nous sommes tous des êtres psychomoteurs.

Si la psychomotricité était un orchestre, elle serait un quatuor composé des membres suivants :

♦ le cerveau

♦ les fonctions cognitives

♦ les émotions

♦ le corps

Et comme dans tout orchestre, pour que les notes soient harmonieuses, il faut que chaque membre du quatuor s’accorde avec les autres.

Et bien, c’est pareil pour les êtres psychomoteurs que nous sommes.

Toutes vos activités quotidiennes sont des activités psychomotrices.

Quand vous marchez, sautez, courrez. Quand vous parlez, partagez vos idées. Quand vous écrivez.

Parce que chaque geste, chaque mouvement, chaque posture, chaque attitude est la résultante du travail commun du quatuor cerveau + cognition + émotion + corps.

L’écriture est donc une activité psychomotrice à part entière.

Voyons de plus près ces 4 membres du quatuor essentiels dans l’écriture.

Le cerveau

L’écriture n’est pas une action naturelle.

Elle se développe, se construit avec le temps. Elle demande un apprentissage, long et complexe, pour que le cerveau mette en place de nouveaux circuits neuronaux.

Ces circuits neuronaux s’établissent et se renforcent grâce à la pratique de l’écriture.

Après un temps d’apprentissage, l’écriture devient automatique chez l’adulte.

Mais contrairement à une idée reçue, l’écriture n’est pas stable tout au long de la vie.

Les raisons à ces changements sont multiples et nous les verrons tout au long de cet article.

Mais, une des raisons les plus communes aux changements d’écriture chez une personne, c’est l’âge.

Le processus de vieillissement cognitif et corporel fait qu’on n’écrit pas de la même façon à 8 ans, 30 ans et 80 ans.

L’écriture est étroitement liée au développement cérébral et psychomoteur de la personne.

Le vieillissement est donc un des facteurs premiers de modification naturelle de l’écriture.

Ainsi, il faut toujours être extrêmement prudent lorsqu’on compare deux documents écrits par la même personne.

Prendre en compte, la date, l’âge exact de la personne ainsi que toute maladie, handicap ou accident ayant pu avoir lieu entre la rédaction des deux documents, est capital pour éviter des interprétations hasardeuses voir les conclusions totalement biaisées.

La cognition

Écrire, comme toute activité humaine, fait appel aux fonctions cognitives.

Ces fonctions cognitives peuvent être volontaires ou automatiques. Un acte devenu routinier demandera avec le temps, de moins en moins d’attention. Mais, un acte minutieux ou important sera lui très coûteux en ressources attentionnelles et en concentration.

Nous ne sommes pas égaux quant aux capacités mnésiques, langagières ou attentionnelles.

Les variations inter-individuelles sont très importantes mais, ces variations sont aussi intra-individuelles.

Ainsi, nos ressources attentionnelles ne sont pas infinies. Nos capacités de concentration ont aussi une limite tout comme nos capacités de mémorisation.

Nous avons tous et toutes un seuil qui nous est propre au-delà duquel, les stimulations deviennent trop fortes. On parle alors d’hyper-stimulation.

Une fois de plus, les contextes sont aussi à comprendre.

Nos fonctions cognitives varient en fonction du temps qui s’écoule dans une journée, des espaces dans lesquels nous nous trouvons, de la présence ou non de bruits, d’agitations autour de nous, etc.

Le système cognitif est souvent le membre du quatuor le plus oublié quand il s’agit d’écriture.

Pourtant, il est un membre tout aussi important que le reste de l’orchestre et sans lui, il n’y aurait simplement pas de possibilité d’écrire chez l’être humain.

Les émotions

Commençons par démystifier une vieille légende :

l’écriture n’est pas le reflet de la personnalité !

Les études scientifiques sur la graphologie, ont toutes montré qu’associer écriture et personnalité ne reposait sur rien.

Comme nous l’avons vu plus haut, l’écriture est un acte psychomoteur.

Tous les psychomot ne seront pas forcément d’accord sur ce point mais, personnellement, je me méfie de ce terme « personnalité » qui n’a pas de définition universellement admise en psychologie.

En 2022, personne ne peut dire précisément ce qu’est une personnalité, tant ce concept est mouvant.

Je lui préfère donc le terme « d’identité ».

Parce que l’écriture est la résultante de ce que vous êtes à un moment donné, dans un contexte donné.

Les contextes changent, nos « personnalités » changent (fort heureusement d’ailleurs…).

Ce qui ne change pas, c’est l’ensemble des éléments qui vous définissent en tant qu’être humain unique.

Écrire, c’est dire qui l’ont est en tant qu’être humain unique, à un moment donné du temps, de l’espace et de son stade de développement psychomoteur.

Comprendre que les émotions, les sentiments, les humeurs, etc ne sont pas stables et qu’elles varient chez nous tous, permet de les remettre à leur juste place dans le processus d’écriture.

Si les fonctions cognitives sont souvent les grandes oubliées dans l’acte d’écrire, les émotions, elles, sont souvent mises sur le devant de la scène de façon trop prononcée.

Tout comme pour la notion de « personnalité », faire des généralisations d’états émotionnels voire d’états mentaux ou d’états psychologiques d’une personne sur la base de son écriture est dangereux.

Je dirais même, que parfois, c’est criminel.

C’est criminel, parce que l’Histoire regorge de ces généralisations qui ont mené des innocents en prison en en internement, leur écriture « prouvant » leur « personnalité criminelle » ou leur « folie ».

Bref, remettons les émotions à leur juste place dans notre quatuor pour être sûr que celui-ci continue de jouer de façon harmonieuse.

Le corps

C’est certainement le membre le plus célèbre de notre orchestre, celui qui vient à l’esprit de suite lorsque l’on parle d’écriture.

Pourtant, bien que ce soit la main qui tienne l’objet scripteur, que ce soit les articulations et le tonus musculaire du membre supérieur qui permettent l’ajustement et la pression des gestes, le corps ne peut rien à lui tout seul.

Car un corps, sans système neuronal, sans système cognitif, sans système émotionnel, ça n’écrit pas.

Le corps est parfois un coquin qui trompe nos yeux car c’est lui que nous voyons agir et nous oublions les trois autres membres du quatuor qui eux, sont invisibles aux yeux.

Car ce que nous percevons des fonctions cognitives et émotionnelles par exemple, ce sont les expressions des ces fonctions ou états, pas les fonctions ou états en eux-mêmes.

On ne verra jamais de nos yeux un niveau attentionnel. On le devinera à un ensemble de comportements verbaux et non-verbaux : l’application que met la personne à écrire, son silence, la fixité de son regard, etc.

De même pour les émotions. La joie d’écrire ne sera comprise que par l’observation d’indices verbaux et non-verbaux : postures du scripteur, mimiques faciales, etc

Le corps qui écrit communique. Mais il n’agit jamais seul. Il fait partie d’un quatuor et ce quatuor joue toujours ensemble.

Tout ce qui vient blesser le corps peut avoir des conséquences sur l’écriture d’une personne.

Les accidents de la vie : une fracture mal consolidée, une rééducation incomplète, l’apparition d’un handicap ou les suites d’un AVC par exemple peuvent modifier de façon considérable une écriture.

Pour comprendre une écriture, il est donc primordial de connaître le contexte de vie d’une personne de la façon la plus exhaustive possible au moment où elle a écrit pour déterminer ce qui peut expliquer un tremblement, de multiples ratures ou un texte très sali par de multiples tâches d’encre par exemple.

Longtemps, on a considéré que les interprétations suffisaient pour expliquer ces éléments dans un texte, allant jusqu’à créer de pseudo explications sans fondements.

Ainsi, les indices montrant un tremblement dans une écriture était le signe (au choix : choisissez la mention qui vous inspire le plus…) : d’un désordre mental, d’un aveu de culpabilité, d’une personnalité anxieuse ou encore le classique… indice d’une homosexualité refoulée.

Bref, le problème avec les interprétations, c’est qu’elles sont sans limites mais surtout, sans fondements.

Car un tremblement dans une écriture peut aussi être due à des causes bien plus objectives : le début d’une maladie neurodégénérative pas encore diagnostiquée ou la prise de certains médicaments par exemple.

Mais, pour le savoir et éviter les déclarations hâtives, encore faut-il accepter qu’écrire, ce n’est pas seulement former des lettres, c’est mettre sur un support, ce que l’on est, à un moment donné.

Conclusion

Écrire est un acte psychomoteur réalisé par des êtres psychomoteurs.

Même si la psychomotricité, en tant que métier, est encore peu connue et reconnue au niveau mondial, elle possède un trésor de connaissances qui, au XXIème siècle peuvent être une aide précieuse dans le monde des expertises judiciaires ou des expertises de documents historiques.

Formés à la psychologie, à la psychiatrie, à l’anatomie, à la neuro-anatomie, à la physiologie, à la neurophysiologie, l’approche pluridisciplinaire de la psychomotricité apporte un regard unique sur des documents écrits uniques.

Tout document écrit, qu’il soit écrit à la main, tapé sur un clavier de téléphone ou d’ordinateur, ou peint sur un mur est une communication.

Il s’agit parfois du dernier acte de communication lorsqu’il s’agit de lettres de suicide ou des derniers mots posés dans un journal avant qu’une personne ne disparaisse sans laisser de traces.

Expertiser une écriture, ce n’est pas regarder comment on forme des lettres et comparer deux documents pour y trouver des indices de similitudes ou non.

Expertiser une écriture, c’est comprendre l’acte de communication qu’un être psychomoteur unique décide de poser à un moment donné.

Expertiser une écriture, c’est finalement, observer le quatuor jouer de concert.

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1 commentaire

  1. LEVEQUE MOREAU says:

    J aime beaucoup votre article, votre concept, merci pour cette belle lecture

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